Bruits d’hiver


Je me souviens que cet hiver-là, la Crise frappait encore le pays de plein fouet. Fuyant le froid et la pluie, pauvres et délaissés de tout poil trouvaient refuge dans le métro, où ils venaient importuner secrétaires de direction et jeunes cadres dynamiques dans l’espoir de se rappeler à leur bon souvenir.

Le meilleur moyen, du moins le plus en vogue, semblait être la musique. Réinventant la tradition des troubadours errants, les miséreux sacrifiaient leur maigre pécule pour acquérir, qui une guitare, qui un accordéon, afin d’attirer l’attention des honnêtes gens. Chaque rame transportant son lot de démunis, le réseau ferroviaire de la capitale s’était transformé en une gigantesque farandole où le Rap côtoyait la Java, où les fugues de Bach croisaient les ballades de Paul McCartney, et où les trains qui s’enfonçaient dans les entrailles de la ville prenaient des airs de petits bals de province. Les bons bourgeois ne daignaient pas davantage poser les yeux sur les nécessiteux, mais au moins était-ce plus gai...

C’est certainement dans cet univers à la saveur aigre-douce qu’est née la rumeur. Peut-être la harpiste de Sèvres-Babylone avait-elle mal interprété les bribes d'une conversations saisies au passage ? Peut-être le bluesman des Halles s’était-il mépris sur le sens de la Une d’un grand quotidien ? Qu’importe, le bruit s’amplifiait. Relayée de bouche en bouche, de station en station, croissait la folle rumeur : bientôt, l’état ouvrirait les portes de l’Elysée et des autres locaux du gouvernement afin d’y loger les sans-abri.

Ah, oui, c'est du plus bel effet...

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